• La vraie fausse fin de la véritable histoire de la Chèvre de Monsieur Seguin

    A la demande d'une amie qui dans le cadre d'un de ses projets m'a "commandé" une fin moins triste pour la "Chèvre de Monsieur Seguin", j'ai rédigé ce petit texte.

     

     

    La maîtresse raconte l'histoire de la Chèvre de Monsieur Seguin.

     

     

     

    Blanquette se sentit perdue... Un moment, en se rappelant l'histoire de la vieille Renaude,qui s'était battue toute la nuit pour être mangée le matin, elle se dit qu'il vaudrait peut-être mieux se laisser manger tout de suite ; puis, s'étant ravisée, elle tomba en garde, la tête basse et la corne en avant, comme une brave chèvre de M. Séguin qu'elle était... Non pas qu'elle eût l'espoir de tuer le loup, les chèvres ne tuent pas le loup, – mais seulement pour voir si elle pourrait tenir aussi longtemps que la Renaude…Alors le monstre s'avança, et les petites cornes entrèrent en danse.

     

     

     

     

     

    Elève 1 : - Ah non ! C'est tout bonnement hors de question. C'est trop triste.

     

    La maîtresse : - Ah si ! C'est ainsi que Monsieur Daudet l'a voulu. D'ailleurs, il le dit « les chèvres ne tuent pas les loups »

     

    Elève 2 (faisant mine de chercher autour de lui) : - Mais il est où ce Monsieur Daudet ?

     

    La maîtresse : - Je crains qu'il ne soit plus parmi nous depuis longtemps.

     

    Elève 2 : - Mais alors ! On s'en fiche !

     

    La maîtresse : - On se fiche de quoi ?

     

    Elève 2 : - De ce qu'il a pu dire !

     

    La maîtresse : - Mais enfin Rémi, c'est une réalité universelle : les chèvres ne tuent pas les loups.

     

    Elève 2 : - peut-être pas, en effet, mais qui dit que le loup doit mourir ?

     

    La maîtresse : - Evidemment, le loup n'est pas obligé de mourir. Personne n'est obligé de mourir après tout.

     

    Elève 3 : - Mais bien sûr que non, d'ailleurs, ma grand-mère y était, elle, chez Monsieur Seguin, elle lui faisait sa cuisine, parfois. Alors l'histoire, elle me l'a racontée.

     

    Le choeur des élèves : - Ah bon ?

     

    Elève 3 : - oui, oui ! Ce Monsieur Daudet avait la fâcheuse habitude d'abuser de l'absinthe parfois, alors il finissait par écrire n'importe quoi. Laissez-moi vous conter la vraie fausse fin de la véritable histoire de la Chèvre de Monsieur Seguin.

     

     

     

     

     

    Alors le monstre s'avança et les petites cornes entrèrent en danse. Une fois, deux fois elles effleurèrent l'épaisse fourrure noire que le loup portait en plastron. Elle chargea une troisième fois, les yeux fermés, prête à sentir la féroce mâchoire se refermer sur son cou de soie, à accueillir le filet de sang chaud qui la libérerait de ses tourments. Ce ne sont pas les dents du loup qui lui arrachèrent un pitoyable bêlement de douleur, mais la morsure d'un rocher tranchant sur lequel elle venait de tomber, en se déchirant l'épaule. Elle ouvrit les yeux, devant elle, point d'adversaire. Elle se releva et sautilla, tournant sur elle-même comme seules les chèvres savent le faire. A quelques mètres de là, couché sur une matte de thym, visiblement épuisé, le loup la contemplait. Blanquette recula jusqu'au bord de la falaise. Elle hésitait : attendre un nouvel assaut et y répondre ou fuir, au risque de se faire happer par l'horrible bête qui barrait le chemin ? Un soupir lui parvint et le loup lui dit :

     

    - Assieds-toi, Blanquette, il faut que je te parle.

     

    Elle ne répondit pas. Si les chèvres ne tuent pas les loups, elles ne leur adressent pas non plus la parole. La grosse bête noire ne sembla pas s'offusquer du dédain si clairement affiché de la petite biquette blanche. Il reprit la parole :

     

    - Ecoute-moi ! Je suis prêt à t'accorder la vie sauve en échange d'un service. Vois-tu Blanquette, je suis las d'être un loup. Traquer les chèvres cornues, les lapins véloces, les taupes amères, les campagnols insolents me fatigue. Si je suis repu à l'issu de ces batailles, si le goût du sang apaise mon désir et ma faim, je ressors de ces mises à mort plus vieux, plus dépité, plus flapi et patraque à chaque fois. La mort des autres va finir par me tuer. Je ne la souhaite pas. Lorsque je vois ta jolie robe immaculée, Blanquette, j'ai la nausée à l'idée de la tacher de rouge. Je te trouve si jolie, tout de blanc vêtue. Mais il faut bien que je vive, et pour que je vive, il faut que toi et tous les autres, proies abhorrées, vous mourriez.

     

    Blanquette se raidit sur ses petites pattes blanches. Elle avait tant entendu les humains s'expliquer pour s'absoudre de leurs mauvaises actions, que la confession du loup ne l'étonnait guère. Les pitoyables regrets qu'il exprimait allégeraient sa conscience pendant qu'il alourdirait sa panse de sa chair tendre. Elle se prépara à une nouvelle attaque, tête baissée, cornes pointées.

     

    Mais le loup, toujours couché, se contentait de mâchouiller un brin de thym, l'air pensif, comme elle-même l'aurait fait. Et il reprit en grimaçant :

     

    - Et puis, tu sais, Blanquette, ce qui me manque le plus ?

     

    La curiosité de Blanquette fut plus forte que sa méfiance :

     

    - Non, dis-moi, le loup !

     

    - Voilà ! Tu l'as dit !

     

    Et il se releva d'un bond, les yeux brillant d'excitation.

     

    - Comment m'as-tu appelé ?

     

    Blanquette resta un instant songeuse :

     

    - Le loup … Je t'ai appelé le loup parce que tu es un loup !

     

    - Là est toute la question Blanquette. Toi-même tu as un nom que l'on t'a donné. Je ne suis rien que le loup sans nom. Blanquette, Blanquette, je ne veux plus me battre, je ne veux plus tuer, je ne veux plus errer seul dans la montagne. Je veux qu'on m'appelle, qu'on me parle sans avoir peur de moi. Je veux un nom.

     

    Interloquée, Blanquette ne songeait même plus à fuir. Le loup, surexcité, traçait des cercles autour d'elle et elle aurait été bien à mal de le faire. Il s'écria, exalté :

     

    - Blanquette, je veux devenir un chien. Je veux être le chien de Monsieur Seguin. Je sais que son vieux chien est mort l'hiver dernier et qu'il ne l'a pas remplacé. Descendons ensemble au mas, et toi qui le connais bien, il te faudra convaincre Monsieur Seguin que je suis le chien qu'il lui faut. Il aura ma compagnie, en place de la tienne, et tu pourras repartir dans la montagne, courir de rocher en rocher à ta guise, pendant que je lécherai les mains qui me porteront ma gamelle.

     

     

     

    Stupéfaite, Blanquette regarda autour d'elle : la montagne à perte de vue, les sapins qui jouaient avec les nuages, l'herbe qui ondoyait jusqu'au ciel, les fleurs qui illuminaient le moindre coin d'ombre, les rochers pour jouer, le thym pour se régaler, l'immensité et l'infinité pour oublier qu'un jour, malgré tout, il faudrait bien mourir, sous les morsures du loup ou celles du temps. Elle se tourna vers le loup :

     

    - Mais Le Loup, tu es prêt à renoncer à tout cela pour un morceau de pain dur trempé dans un maigre bouillon ? Tu accepterais le joug du collier, le poids de la chaîne pour une simple main posée sur ta tête ? Tu abdiquerais qui tu es vraiment pour simplement qu'on t'appelle par ton nom.

     

    Le loup se contenta de hocher la tête, les yeux humides, ivre d'espoir.

     

    - Alors allons-y, dit la chèvre.

     

     

     

    C'était une bien belle et étrange chose que de voir la grande bête noire, un peu efflanquée, descendre les sentes escarpées aux côtés de la petite chèvre blanche, ronde et fière. Le lièvre curieux en oublia de dresser une oreille. Les pies bavardes se turent brutalement sur les grands pins bleus. L'écureuil en fit choir sa noisette si longtemps perdue et enfin retrouvée. Le renard médusé repartit en quête d'un vermisseau, lui qui avait tant compté sur un reste du somptueux repas du loup. La biche, filant comme le vent, ne manqua pas cependant de marquer une pause, ses grands yeux plus écarquillés que jamais, avant de disparaître dans un fourré épineux. Parfois, le loup, sous le coup d'une pulsion irrépressible, donnait en direction de Blanquette, un coup de dents. Elle l'évitait d'un écart agile et ne manquait pas de le réprimander.

     

    - Attention le loup ! Sans moi, tu ne deviendras jamais un chien.

     

    Alors le loup rentrait la tête dans les épaules, mettait sa queue entre ses pattes arrière et confus, avançait en évitant de se lécher les babines. Parfois ils se parlaient pour rompre la monotonie du voyage et la chèvre demandait :

     

    - Tu es sûr de vouloir porter le joug ?

     

    Et le loup répondait :

     

    - Aujourd'hui, oui. Demain je ne sais pas. Mais sait-on de quoi nous serons fait demain ? Et toi Blanquette es-tu sûre de vouloir t'épuiser à courir la montagne ?

     

    Et la chèvre répondait :

     

    - Aujourd'hui, oui. Demain, je ne sais pas …

     

     

     

     

     

    Monsieur Seguin, qui n'avait toujours pas renoncé à voir revenir Blanquette, n'était pas parvenu à souper et à aller se coucher. A l'orée du bois qui longeait son pré, il attendait, le fusil à l'épaule et il appelait. Blanquette l'entendit. A son tour elle appela :

     

    - Monsieur Seguin, Monsieur Seguin ! Me voilà ! Lâchez votre arme, je vous emmène un ami.

     

     

     

    Lorsque dans la nuit naissante, Monsieur Seguin entrevit le loup, il en fit tomber son arme de stupéfaction. Il allait se baisser pour la ramasser et mettre l'animal en joue, mais Blanquette, d'un saut gracieux, s'interposa entre son maître et le fusil.

     

    - Non, Monsieur Seguin, ne le tuez pas. Regardez, il est tout penaud, il ne nous veut pas de mal. Laissez-moi vous expliquer ce qu'il attend de vous.

     

     

     

    Et la chèvre se lança dans un long discours pendant que le loup, humble et déjà soumis, rampait vers les doigts de Monsieur Seguin.

     

    - Vous êtes seul, Monsieur Seguin, disait la chèvre, et je ne peux pas vous tenir compagnie, quoi que vous fassiez, je repartirai là-haut, alors que lui acceptera de devenir votre compagnon, en échange d'un abri, d'une pitance et d'un nom. Prenez-le et laissez-moi.

     

     

    Le loup fourra sa truffe brillante dans la main de Monsieur Seguin et celui-ci lâcha le fusil pour poser sa paume sur les poils hirsutes de sa tête. La chèvre sut alors qu'elle avait gagné. Jamais elle n'avait sauté si haut. La joie lui donnait des ailes. En trois bonds, elle regagna la barre rocheuse qui surplombait le mas. L'ombre gagnait mais la pleine lune éclairait la plaine. En bas, contre la maison, elle vit Monsieur Seguin passer avec une sorte de tendresse, un vieux collier de cuir au cou du loup. Il l'attacha à la niche de bois, construite près de la maison. Le loup se coucha. Il fallut peu de temps à Monsieur Seguin pour disparaître dans la maison et réapparaître les mains chargées d'une lourde écuelle en fer. La brise du soir apporta à Blanquette des effluves de lard. Elle sourit de son sourire de chèvre. Il lui sembla même entendre le loup soupirer d'aise. Monsieur Seguin rentra à nouveau dans la maison. Il en ressortit avec un charbon de bois froid et s'approcha de la niche. Sur le fronton, à côté de quelques lettres à la peinture écaillée, il traça deux barres verticales bien droites, bien noires : « deux » en chiffres romains.

     

    Les loups ne savent pas lire, et les chèvres non plus, finalement. Mais les chèvres sont futées, plus futées que les loups. Tout en bas, à la porte de sa niche en bois, le loup entendit un bêlement qui ressemblait fort à un éclat de rire :

     

    - Au revoir ! Au revoir Noiraud ! Noiraud II !

     

     

    Le rire se confondit avec la nuit et s'éteignit dans le noir.

     

     

     

    Au revoir, Blanquette, pensa le loup. Peut-être nous reverrons-nous, et alors qui sait si je n'aurai pas envie de te manger. Mais pas aujourd'hui. Pas aujourd'hui.

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     


  • Commentaires

    1
    Mamie Chats
    Mardi 1er Septembre 2015 à 06:18
    Une bien plus jolie fin de l'histoire de Blanquette et du loup .... J'aime tant les Blanquettes et autres chevrettes .... mais j'aime aussi les loups .....Voilà que mes larmes coulent encore .... le matin de la rentrée des classes ..... j'aimerais bien être une enfant dans ta classe maîtresse.
    2
    Mardi 1er Septembre 2015 à 07:11

    Bisous Béa !

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